L’analyse du correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer, sur le scandale de corruption qui sème le trouble au sein des institutions européennes, avec la vice-présidente du PE Eva Kaili, l’ancien député européen Pier Antonio Panzeri et leurs proches.
Le journaliste de l’article d’aujourd’hui déclare : « Les soupçons de corruption qui ont conduit à l’arrestation d’une des 14 vice-présidents du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili, et de son collègue assistant parlementaire Francesco Giorgio, mettent en lumière la culture qui domine l’institution : un mélange de manque de contrôle, d’impunité, de prudence et de favoritisme qui a conduit à ce scandale ».
Parce que le Parlement est la seule institution communautaire élue au suffrage universel direct, il se considère comme le centre de la légitimité démocratique de l’Union européenne et n’a donc de comptes à rendre à personne. Comme ce sont les députés européens qui fixent leurs propres règles de fonctionnement et qu’ils sont dans un régime autogéré, il a fallu beaucoup de temps et une série de scandales qui ont fait la une des journaux pour que les règles internes soient minimales depuis 2010.
Mais les failles restent énormes et permettent des conflits d’intérêts : ainsi, l’ancien président de la Cour des comptes européenne, le conservateur allemand Klaus-Heiner Lehne, a été recruté, alors qu’il était député européen, dans un cabinet d’avocats d’affaires où il est resté même après son élection à la présidence de la commission des affaires juridiques du Parlement.
De même, Sylvie Goulard, lorsqu’elle était membre du Parlement européen, a pu réaliser, sans rien cacher, entre 2013 et 2015, un think tank pour un milliardaire germano-américain.
Les exemples qui pourraient être énumérés sont nombreux, note l’auteur.
La transformation d’anciens députés en lobbyistes, qui conservent un libre accès aux couloirs du Parlement, est plus que courante et rien ne les empêche de travailler dans les domaines qu’ils couvraient en tant que législateurs.
Ce n’est pas non plus une coïncidence si l’homme au centre du scandale qui a « mené » à Eva Kaili n’est autre que l’Italien Pierre Antonio Pangeri, député européen à trois mandats qui a conservé son réseau d’influence.
L’ONG qu’il dirigeait n’est même pas inscrite au registre de transparence des lobbies, ce qui ne l’a toutefois pas empêchée d’organiser des événements dans les locaux de l’Assemblée de l’UE avec ses ressources…
Il suffit de dire que l’éthique et le Parlement européen ne vont pas de pair.
Quant à l’administration, qui devrait être l’épine dorsale du Parlement, elle est complètement politisée : toutes les nominations sont politisées et les concours internes sont « truqués » pour promouvoir des « copains ».
Le parti qui tient les rênes du Parlement est le principal groupe politique depuis vingt-trois ans. Le Parti populaire européen (PPE, conservateur), contrôlé par les chrétiens-démocrates allemands (CDU).
Mais les socialistes, deuxième groupe de la Convention, ont également droit à leur part du gâteau. Le clientélisme est garanti aux députés, ils n’auront donc jamais à s’inquiéter, sauf s’ils ont le malheur d’appartenir à un petit groupe politique…
Le journaliste conclut en disant que le Parlement, fort de ses nouveaux pouvoirs acquis par les traités et de ses réseaux d’influence, a souvent réussi à imposer ses anciens membres, surtout s’ils étaient du PPE, aux autres institutions, ce qui a éliminé les contre-pouvoirs . L’Union est donc dirigée par une grande famille (de droite, mais aussi socialiste) qui protège ses citoyens jusqu’à ce qu’un scandale particulièrement grave survienne.
« En Italie, on parlait de la mafia. C’est le nom de l’affaire Kaili », dit Jean Quatremer.
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